Résidences La Borne 2021/2022

Charlotte Coquen & Isabelle Pammachius

Charlotte Coquen
Pourriez-vous vous présenter ?

Je suis née à Dieppe en Normandie, j’ai grandi au bord de la mer. Cet environnement érodé a une influence sur mon travail. La mer, comme la vie brasse et malmène les quotidiens.
Dans ma pratique, j’ironise le déterminisme social qu’implique toute quête d’identité. Je questionne la norme, l’Histoire, la filiation, les genres… Mes pièces montrent en quelque sorte de faux mythes fondateurs où tout est bancal, des séquences de vie tragi-comique.
Je suis diplômée des Beaux-Arts de Rouen et de L’Institut Européen de Arts Céramique de Guebwiller en Alsace. Ma pratique pluridisciplinaire accorde une place privilégiée à la céramique, qui me permet d’entremêler une construction charnelle à une monstration reliquaire ; je montre souvent des restes.

Mon travail a été montré dernièrement lors de la Biennale Internationale de la Céramique de Vallauris ou encore à la fondation d’entreprise Bernardaud. Plusieurs prix et bourses ont récompensé et encouragé mes recherches, comme l’aide la création reçu de la DRAC-Normandie en 2018 ou le soutien alloué par Keramis (Be) pour la réalisation de ma grande pièce «Tagada » en 2017.

Pourquoi souhaitiez-vous participer au dispositif des « Résidences La Borne » ?

J’ai d’abord eu l’envie de travailler à quatre mains et en immersion ; voir le projet se modifier et s’enrichir.
Ce sont aussi, les cuissons au bois et l’« honnêteté » qu’elles confèrent à la terre, qui correspondent pleinement au projet que je souhaite développer.

C’est quoi pour vous La Borne, qu’est-ce que cela vous évoque ?

Une sorte de justesse émane de l’atmosphère de La Borne. Les artistes s’adaptent à leur environnement et non l’inverse. Ce lieu rend nécessaire une forme de résistance, mélange de force et d’humilité.

Quel est votre projet pour 2021 ?

J’aimerais réaliser une installation de « femmes/menhir ». Il s’agira de sorte de monolithes qui, empilés, feront songer à des corps. Leur surface sera érodée par les gestes et évoquera un pelage. Le feu rendra immuables ces madones à l’équilibre instable.

charlottecoquen.com

 

Isabelle Pammachius

Isabelle découvre le plaisir de travailler l’argile lors d’une session poterie organisée par la chambre des métiers de la Sarthe. Une formation qualifiante en tournage lui ouvre les portes à La Borne. Accueillie dans l’atelier de Boisbelle, elle perfectionne sa technique. Elle apprend à désapprendre. Au tournage, ne restent que les gestes nécessaires ; le moins donne le plus à la terre préparée sur place. Isabelle aime l’art de la vaisselle. Son art de la table est vivant, équilibré, vous prend en otage entre plaisir et tactile (tactilité ?). La cuisson au bois parachève les pièces en partie émaillées, relevées d’un décor minimaliste.

Texte : Bernard David

www.laborne.org/fr/isabelle-pammachius/

ÎLE/MER/ FROID & Hervé Rousseau

ÎLE/MER/ FROID
Pourriez-vous vous présenter ?

Nous nous attachons depuis 2013 à la construction d’une pratique artistique commune dont le champ d’action s’étend de la musique expérimentale improvisée (PAL) à la sculpture (ÎLE/MER/ FROID). Ce travail à trois corps est envisagé comme une expérience de la construction d’un commun par la création artistique.
Nous fonctionnons par périodes intenses, ponctuelles, durant lesquelles la fabrication tient d’évidence une part importante dans l’élaboration de nos productions, et les lieux dans lesquels cette action s’implante influent fortement sur les rencontres plastiques qui s’y opèrent.
Nous affectionnons le travail au grand air, du glanage à la construction, le travail qui en découle est ainsi intrinsèquement lié aux territoires dans lesquels il s’inscrit.

Pourquoi souhaitiez-vous participer au dispositif des « Résidences La Borne » ?

La céramique infuse progressivement notre langage. Il nous paraît aujourd’hui évident de nous plonger plus avant dans cette culture. Le contexte de La Borne nous semble particulièrement approprié pour cette découverte, tant par la richesse des approches de la pratique de la terre et du feu que par son histoire.
L’inclusion dans une recherche commune d’un.e artiste céramiste nous interpelle tout autant pour l’ouverture inédite qu’elle occasionnera dans notre géométrie. Si nous sommes en effet accoutumés à collaborer de manière ponctuelle et plus ou moins formellement avec d’autres au-delà de notre cercle, l’élaboration et la construction d’un projet plastique avec une quatrième personne qui apportera un regard nouveau, une connaissance locale et un savoir-faire particulier, reste une expérience rare et très enthousiasmante.

C’est quoi pour vous La Borne, qu’est-ce que cela vous évoque ?

L’écologie de la Borne, c’est à dire le rapport triangulaire qui lie sa communauté, son activité et son environnement, résonne particulièrement avec la manière d’envisager le travail artistique – particulièrement en rapport avec les lieux où il prend forme – que nous développons avec ÎLE/MER/FROID.

Quel est votre projet pour 2021 ?

L’économie de chantier, qui nous amène à concevoir et fabriquer nos propres matières, outils, récipients, ustensiles de travail et de cuisine, dans des formes frustes ou plus sculpturales, est la pratique de fond que nous nous proposons de mener tout au long de cette résidence.
L’élaboration lente des matériaux, des outils, des formes, des systèmes nous intéresse particulièrement, depuis la collecte de la terre, jusqu’à l’expérimentation d’émaux végétaux (poursuivant aussi par-là nos recherches récentes liées aux plantes tinctoriales). Cet aspect du travail, au contact direct de l’environnant, induit une grande porosité entre le travail et les conditions dans lesquelles il prend forme.
Il importe pour nous d’allier dans notre apprentissage commun cette conscience exacerbée à une immédiateté d’action, de fabrication, d’apporter autant d’attention et d’intérêt à l’œuvre qu’à toute la construction qui y conduit, les étapes nécessaires à sa fabrication étant toujours des moments intenses de convivialité, d’échange, d’expérimentation et de réflexion. Par l’entretien d’un rapport fruste, direct, au volume, à la matière, à la couleur, à la nature, il nous semble entrevoir une sorte de « vraie magie ». Nous pensons ici à la sorcellerie, mais celle des campagnes, commune, celle du rapport quotidien à la nature.
Il y a un rapport indéniable au rituel, à la transe, à la magie, qui tient pour nous une part importante dans ces pratiques de la céramique et de la musique. Elles pourront s’accompagner mutuellement dans ce champ, notamment pendant les phases de cuisson, moment particulier de rythme, de convivialité, de suspension et de grande intensité.
Une recherche autour des corps résonnants pourra aussi se rapporter à notre pratique sonore, où nous utilisons des récipients sans contenus, dont le volume amplifié crée ses fréquences propres.

Hervé Rousseau

En 1977, il apprend le tournage chez Augusto Tozzola. Hervé s’enrichit d’expérience au Québec, dans le sud de la France, avant de poser par hasard les tours à Boisbelle, à la sortie d’Henrichemont. Il va toujours à l’essentiel. Un tournage enlevé, efficace et une bonne terre sauvage, non lavée sont les socles fondamentaux pour lui. Tout son travail est cuit dans le noborigama.

Une rugosité primitive taille un costume à l’esthétique de bien lisse sans âme. Cette simplicité vigoureuse essore l’expression céramique. Son façonnage souligne un regard porté aux pièces anciennes. Hervé célèbre le geste de la main explorant la plasticité du matériau. Du pot, aux stèles, aux bornes : à Boisbelle la terre est debout.

Bernard David

laborne.org/fr/herve-rousseau/