Les fours à bois à La Borne
La Borne, une histoire oubliée
Nicole Crestou
Le nom de La Borne en tant que village de potiers apparaît au début du XVIIe siècle. Aucune fouille ni recherche archéologique ou historique ne retracent intégralement les origines et l’évolution de la céramique dans ce pays de grès. La présence de potiers est attestée dans les villages voisins bien avant leur implantation dans La Borne qui n’est pas située sur le filon d’argile. La construction d’Henrichemont décidée en 1608 par Maximilien de Béthune, duc de Sully, en l’honneur du roi Henri IV, nécessite un besoin de briques, carrelages et tuiles. Les ateliers de poteries se regroupent à La Borne à mi-chemin entre les carrières et la future ville.
Alors que les poteries disparaissent alentour, cette activité ne connaît, en raison même de la concentration des ateliers, aucune interruption à La Borne. La constance des fours à bois et leur évolution accompagnent les changements économiques et sociaux. Aujourd’hui, plus d’une trentaine de fours sont opérationnels.
L’origine de la cuisson de grès en France est plus sujet de légendes que de certitudes.
L’argile grésante locale a certainement servi à la fabrication de diverses céramiques cuites à une température de « terre cuite » avant que les fours couchés permettant de monter à 1300° C ne soient construits, comme ils le furent auparavant Outre-Rhin, en Basse-Normandie, dans le Beauvaisis – seconde moitié du XIVe siècle – puis en Puisaye.
En Chine, la haute température a été atteinte sans doute plus de 3000 ans avant qu’elle ne le soit en Europe ; les fours sont comparables, horizontaux, à chambre unique et de tirage oblique, mais sont inversés. Les fours couchés d’Extrême-Orient rétrécissent avant la cheminée et sont largement ouverts à l’avant pour l’enfournement par l’alandier qui est ensuite refermé pour chaque cuisson, alors que les fours européens sont étroits à l’avant et s’élargissent à l’arrière où se fait l’enfournement. Pour cuire, les premiers fours bornois sont fermés par une paroi à claire voie. Mais cette absence de cheminée allonge la durée de chauffe et implique de grandes différences de température, des pièces très cuites près de l’alandier et celles de l’arrière, encore poreuses, doivent avoir d’autres fonctions. La plupart des très grands fours possèdent deux cheminées entre lesquelles se trouve une ouverture pour l’enfournement et le défournement. Or les cheminées, ces fours « baleine » connaissent peu d’évolutions. L’inclinaison de la pente est accentuée au XVIe siècle pour un meilleur tirage et un cendrier est creusé sous le foyer afin de faciliter le débraisage sans perte calorifique. Le grès cuit autour de 1300° C est imperméable et solide, non gélif, résistant au sel et aux acides. Il est donc utilisé pour des contenants de grands volumes, des saloirs, des terrines, des « emballages » pour transporter et conserver la nourriture. Les grandes pièces doivent être cuites dans de grands fours qui appartiennent à plusieurs propriétaires d’ateliers afin d’être rentabilisés. À La Borne, au début du XVIIIe siècle, si un dénombrement de la population identifie 19 chefs de famille comme potiers de terre, il est plus difficile de recenser les fours. L’Enquête des Préfets de 1805-1810 indique 21 ateliers et 11 fours. Des archives plus récentes permettent de lister les fours et d’estimer les volumes de 16 à 90 m3, il y en a toujours 11 en 1852. Le Grand Four de 75 m3, encore debout, est construit entre 1861
et 1893. Avant 1914, 11 fours sont en activité, 8 en 1928 utilisés par 10 ateliers, 7 fours en 1948 pour 7 ateliers, les 2 derniers actifs en 1968 s’éteignent en 1972 et 1975. En 1926 alors que l’activité était bien moindre qu’avant la guerre, ce ne sont pas moins de 1220 m3 de pots tournés dans 3 ateliers qui sont défournés des 2 fours couchés de 16 et 75 m3.
Au cours de la première moitié du XXe siècle, les fours n’appartiennent plus qu’à un atelier et s’éteignent peu à peu, inadaptés aux évolutions de la production. Les changements de la société, les nouveaux matériaux et les nouveaux objets manufacturés, la diminution de la clientèle rurale et des besoins des agriculteurs transforment l’activité potière.
Les tentatives des maîtres potiers traditionnels pour réduire la capacité des grands fours ne furent pas concluantes, de même que leur reconversion dans la fabrication de poteries fantaisies. Si chaque atelier a maintenant son four, il est bien plus petit, adapté à la production d’un potier ou d’un couple.
Un nouveau type de four permit de maintenir l’activité potière : le four de Sèvres construit pour Paul Beyer. D’autres fours à flammes renversées ont également été utilisés à La Borne : le four chaînette et plus récemment le four Feller, plus économique et moins polluant.
Plus récemment les fours couchés orientaux aux longues cuissons ont répondus aux recherches de matières personnalisées.
Le four à bois est l’outil essentiel du potier.
D’après un texte non publié À propos de quelques fours à bois actifs à La Borne ou l’ayant été, de Christophe Lemarchand et Nicole Crestou.